J'ai une passion pour la collection de cartes postales anciennes de la commune de Robert-Espagne où j'ai passé mon enfance.
Voici l'article que j'ai écrit dans le magazine bimestriel Cartes Postales et Collections n°177 de Décembre 1997/Janvier 1998
Robert Espagne
C'est en France !
La commune de Robert-Espagne, petit village meusien, se trouve à une quinzaine de kilomètres de Bar-Le-Duc, préfecture de la Meuse, et à une vingtaine de kilomètres de Saint Dizier, dans la Haute Marne. Il se situe exactement au Sud Ouest du département, au carrefour de la Meuse, la Haute Marne et la Marne.
Son nom peut surprendre à la première lecture mais il s'agit bien d'une commune faisant partie du canton dont Bar-Le-Duc est le chef-lieu. La Meuse appartient à la région Lorraine, tout comme les départements de la Moselle, la Meurthe et Moselle et les Vosges.
Robert-Espagne est traversé d'Est en Ouest par la Saulx, petite rivière qui sillonne de nombreux villages du Sud de la Meuse. Ce charmant petit bourg connut l'essor économique au XIXème siècle et fut le théâtre, plus récemment, pendant la seconde guerre mondiale d'un terrible événement qui marqua son histoire.
ORIGINES ET HISTOIRE
Le nom connu le plus ancien de Robert-Espagne serait « MEMBODI SPANIA » et remonterait à 1019.
Des recherches sur d'anciens écrits ont permis de retrouver d'autres dénominations au cours de l'Histoire. Se sont succédés au cours des siècles les noms suivants :
« IN MOLENDINO de ROBERTESPAIGNE » en 1141
« ROBERTESPAIGNE » en 1220
« ROBERTI SPANIA » en 1756
le mot SPANIA serait une forme dérivée de l' « empan ». L'empan est une mesure ancienne et représente la distance entre les extrémités du pouce et de l'auriculaire quand la main droite est ouverte. On peut considérer que cela correspond à environ 20 centimètres dans notre système de mesure.
Ceci amène à la conclusion que ce nom provient d'un certain Robert qui aurait fait don àl'époque de quelques empans de terre aux moines de Jeand'Heurs.
Jeand'Heurs est un domaine, baigné par la Saulx dans lequel s'érigeait l'abbaye des Prémontrés. Il existe encore aujourd'hui. Un château s'y dresse avec de nombreuses dépendances comme des écuries, une orangerie, des terres et des forêts tout autour.
L'abbaye fut vendue comme bien national à la Révolution et est devenue, grâce au Maréchal Oudinot, l'un des plus beaux parcs du Premier Empire.
La forme définitive de ROBERT-ESPAGNE apparut juste après la Révolution Française de 1789 d'après les écrits retrouvés de cette époque à Jeand'Heurs.
Au mois d'Août 1544, pendant que Charles Quint assiégeait Saint Dizier, les armées de Furstenberg incendièrent Robert-Espagne et fusillèrent le maire.
Pendant la guerre de Trente ans, le bourg connut l'occupation, la misère, la famine et les épidémies.
Le village fit partie du Duché de Bar jusqu'en 1766. Ce Duché était très puissant dans la région et indépendant du Royaume de France. Il fut annexé ensuite pour être dirigé par le roi.
La partie située sur la rive droite de la Saulx appartenait au village voisin, Beurey Sur Saulx.
Elle fut rattaché à Robert-Espagne en 1848. Ce quartier se nommait Beurey la petite.
Aujourd'hui encore ce quartier où un lotissement s'est construit s'appelle la petite Beurey.
LES INDUSTRIES LOCALES
Le XIXème siècle marque un tournant dans la vie économique de Robert-Espagne. De nombreuses industries s'installèrent sur la commune. Sa position était intéressante vis à vis de la proximité d'un cours d'eau, utile dans la plupart des industries.
Une poudrerie fut installée par le maréchal Oudinot. Le calcaire était extrait des carrières du rupt du puits. Celui-ci était distillé pour en obtenir le salpêtre, qui mélangé avec du soufre et du charbon de bois, formait de la poudre noire. Cette poudre n'est rien d'autre que de la poudre à canon qui servait aux armées française de l 'époque.
Deux cents personnes travaillaient dans cette entreprise.
Une exploitation de carrières souterraine existait et servait à extraire la pierre morte, utile lors de la fabrication des maisons et des pierres à eau.
Les hauts fourneaux de Robert-Espagne permettaient de transformer le minerai de fer de la région. Ils étaient situés en dehors du village, dans la direction de Saint Dizier au lieu dit de Pont Sur Saulx, dans la propriété d'un château.
Le sable vert servait à fabriquer des moules pour les forges.
Une filature était installée dans la cour du moulin dans le village.
Une bleuterie était située dans le lieu dit de Renesson pour la fabrique de boules de bleu.
Celles-ci étaient achetées par bon nombre de personnes pour laver le linge.
Une usine chimique était implantée à Vieux Jeand'Heurs, sur le domaine du château de Jeand'Heurs mentionné précédemment.
Enfin de nombreux artisans étaient installés à Robert-Espagne. Une scierie, un forgeron, une fabrique de meubles et une distillerie entre autres répondaient aux besoins de la population locale et environnante.
LE CHEMIN DE FER
La ligne principale reliait les villes de Saint Dizier à Revigny, petite ville de la Meuse à une quinzaine de kilomètres au Nord de Robert-Espagne.
Cette ligne était exploitée par la Compagnie des Chemins de Fer, qui est devenue la SNCF par la suite. La gare se trouvait à l'entrée en venant de Saint Dizier.
Elle permettait le déplacement de voyageurs ou de marchandises, qui pouvaient ensuite utiliser des trains en correspondance dans les autres gares.
Une seconde ligne reliant Haironville, un village en amont au bord de la Saulx, à Revigny était exploitée par les Chemins de Fer d'intérêt local de la Meuse. Ce parcours à voie étroite, par rapport à la voie de la ligne principale, longeait les routes et desservait les différentes usines tout au long du périple de la Saulx dans les villages de la vallée. Il se nommait le « Tacot ». Sa gare se situait de l'autre côté du village, non loin de la rivière. Ce train permettait par exemple de transporter les marchandises depuis l'usine du Vieux Jeand'Heurs ou depuis les hauts fourneaux de Pont sur Saulx, ou encore d'autres nombreuses industries de la vallée. Cette voie ferrée rendit d'énormes services. En 1930, cette ligne locale fut déclassée. Une ligne à voie normale d'intérêt économique de Robert-Espagne à Haironville le remplaça ensuite pour les mêmes besoins de transport de marchandises.
Avec le progrès, la route a remplacé le train. En 1973, le trafic ferroviaire cessa. La gare de Robert-Espagne fut fermée et vendue à un particulier. Un lotissement fut construit de part et d'autres sur l'emprise des anciennes voies.
LA SECONDE GUERRE MONDIALE
La période de Juin 1940 est marquée par l'exode.
Alors que beaucoup d'habitants étaient dispersés dans toute la France, les allemands arrivèrent à Robert-Espagne et installèrent la frontière, à quelques pas du village, qui allait délimiter la France occupée par l 'envahisseur de la zone interdite destinée à être annexée à l'Allemagne.
Plusieurs habitants ayant des terres ou des bois en zone occupée alors qu'ils habitaient en zone interdite devaient demander une autorisation à la Feld'Kommandatur basée à Bar-Le-Duc pour obtenir un laisser-passer, à renouveler régulièrement. Ce qui rendait encore plus difficile la vie de tous les jours.
Le quartier général allemand local s'installa pendant 4 ans dans le château à l'entrée de Robert-Espagne .
Tout permettait de supposer que les occupants quitteraient la région sans se soucier de ses habitants. Ceux-ci, comme beaucoup en France suivaient l'avance victorieuse en 1944 des troupes alliées et se réjouissaient à l'idée de bientôt accueillir chaleureusement leur libérateur.
Le 29 Août 1944 marqua un tournant dans l'histoire du village. L'armée allemande en déroute battait en retraite vers l'Allemagne en traversant régulièrement le village. Ce matin là, vers 9h00, plusieurs camions de transports de troupes allemands envahissent la propriété du maître de forge à Pont Sur Saulx où se si---tuaient les hauts fourneaux. Ils y installent leur commandement.
Durant toute la matinée, les camions font le va et vient, ramenant de Robert-Espagne, proche de là, les marchandises pillées dans les commerces et les maisons.
Vers Midi, des SS jettent des grenades dans le bureau de poste au centre du village pour y détruire les appareils téléphoniques. Ceci permet d'isoler le village.
Peu après, ils font irruption dans les maisons du haut du village dans la direction de Saint Dizier pour arrêter tous les hommes de 15 à 60 ans, feignant d'avoir une corvée à leur faire accomplir. Ceux-ci sont rassemblés sur la place de la gare, sous la menace d'une mitrailleuse.
La nouvelle se répand dans le reste du village. Ce qui permet à tous les hommes encore
présents de prendre la fuite dans les bois avoisinants.
Vers 13h30, un camion de SS s'arrête à l'entrée opposée du village, en direction de Beurey Sur Saulx, et les soldats pillent les maisons et obligent les femmes et les enfants à en sortir pour y mettre le feu ensuite.
A 14h45, les 50 hommes arrêtés, regroupés près de la gare, sont amenés sur les emprises de voies de chemin de fer puis fusillés vers 15h00.
Dans la nuit, les allemands font un banquet, avec le fruit de leur pillage et incendient le reste du village.
Le 31 Août, un homme de plus fut abattu par quelques soldats allemands encore présents l'ayant aperçu.
Le village, est heureusement libéré le même jour par les américains en fin d 'après-midi.
En septembre 1944, les habitants enterrent leurs morts sur le lieu de la fusillade et utilisent des morceaux de poutres calcinées pour fabriquer une croix.
Un village provisoire fut construit à côté du village en ruines pour reloger tous les habitants sans foyer. Leur situation était précaire car le confort était limité dans ces petites habitations légères dans lesquelles certaines familles vécurent plusieurs années. Peu de rues on été épargnées par le feu. Le village fut peu à peu reconstruit.
Le général De Gaulle est venu rendre hommage aux fusillés le 28 Juillet 1946 et posa la première pierre du monument érigé, destiné à garder le souvenir de cet horrible massacre.
Trois autres villages de la vallée de la Saulx ont connu le même sort. Ce sont Beurey, Couvonges et Mognéville.
On les appelle depuis ce jour, « les villages martyrs ».
Le 29 Août 1949, le général Zeller, est venu remettre la croix de guerre à la commune, en souvenir du massacre.
Cet épisode d'Août 1944 marque une certaine coincidence avec Août 1544, soit 400 ans auparavant, lorsque Robert-Espagne avait déjà été incendié par les armée de Furstenberg.
Pieusement, chaque année à la date anniversaire, le souvenir des victimes du massacre est évoqué dans les différentes communes par des manifestations patriotiques et religieuses.
LA POPULATION
La population a évolué au cours des années. Le pic a été atteint pendant la période économique faste locale. En 1851, Robert-Espagne comptait 1441 habitants, alors que le bourg n'en comptait que 774 en 1803 et n'en compte plus que 809 aujourd'hui.
La population s'est en fait maintenue au dessus de la barre des 1000 de 1836 à 1907 approximativement. Les industries étaient alors prospères et avaient besoin de main d'oeuvre.
En patois local, Robert-Espagne se nomme Bertapagne. Ses habitants se nomme les tracanniers.
L'EGLISE
Elle s'appelle église Saint Louvent. A la fin du XVIIème siècle , elle était proche de la ruine. Les réparations auraient été trop onéreuses. Elles furent donc refusées. Ceci obligea l'interdiction des services religieux à l'intérieur pendant vingt ans. La messe était célébrée dans le bâtiment de l'école. Cette ancienne église abritait une chapelle de Notre-Dame fondée par les seigneurs. En 1775, les habitants du village furent mobilisés pour reconstruire l'église que nous connaissons actuellement. Hommes, femmes et enfants participèrent à cette réalisation.
LE LAVOIR
Il était situé au bord de la Saulx, près du pont traversant la rivière en direction de Beurey sur Saulx.
Les gens du village s'y rendaient pour faire leur lessive. Aujourd'hui il n'existe plus.
AUJOURD'HUI
Aujourd'hui il est difficile de reconnaître Robert-Espagne par rapport à l'avant guerre. Les rues ont beaucoup changé après la reconstruction, et ne sont plus toutes disposées de la même façon.
En particulier la rue principale, appelée la rue de Gironde. La place, elle aussi a bougé géographiquement et elle est plus grande. Un des témoins de cette époque reste la carte postale qui peut nous permettre de se replonger dans le passé et se rendre compte des changements. Il est vrai que toutes les rues, ainsi que les monuments et les industries étaient souvent immortalisées par les photographes.
Sur certaines de ces cartes postales, des bâtiments apparaissent et, n'ayant pas été détruits par le feu, nous permettent de nous repérer quand à la situation des anciennes rues et habitations.
Les grandes industries ont elles aussi disparu, ne pouvant faire face aux grands groupes industriels. Il ne reste que des ruines des hauts fourneaux de Pont Sur Saulx ainsi que de l'usine du Vieux Jeand'Heurs, par exemple. Les cheminées encore dressées sont le témoignage du siècle dernier.
En 1950 les forces de l'OTAN s'installèrent dans la forêt voisine de Trois Fontaines, pour y construire un camp de munitions. Elle permit de redonner un petit souffle temporaire à la contrée en employant environ 2000 personnes dont 1200 civils. Ceci se termina lors du retrait de la France de l'OTAN militaire en 1966.
Depuis, quelques petites entreprises ( fonderie, exploitation forestière) , artisans, commerces et professions libérales se sont installés, mais la plupart des habitants travaillent aux environs, voire même dans les autres départements proches.
Prochainement vous pourrez voir d'autres cartes postales de cette commune